Littérature étrangère

« Ceux qu’on jette à la mer » de Carl de Souza


« Ceux qu’on jette à la mer » de Carl de Souza, Editions de l’Olivier, 2001Ceux-quon-jette-a-la-mer_1708

Auteur Mauricien, Carl de Souza nous embarque avec ce roman à bord du Ming Sing 23, un boat people chinois censé se rendre en Haïti. Il faut avouer que le choix de la destination laisse songeur. Haïti n’a quand même rien de l’Eldorado, même pour des Chinois à l’existence difficile. Haïti, ce n’est pas l’Amérique!!!
Ils ont pourtant dû accomplir un véritable parcours du combattant pour parvenir à se hisser sur ce navire et gagner leur place pour ce grand chemin de croix. Il a fallu se montrer patient à la New Oriental Labour Agency, débourser au passeur une somme monstrueuse… accepter de tout quitter, même ceux qu’on aime. Il va falloir ensuite résister au mal de mer, passer de longs mois au fond des cales, survivre aux maladies, aux conditions d’hygiène souvent calamiteuses et aux mauvais traitements de Yap Son Cheng, le capitaine cupide et psychopathe aux humeurs délicates.
La narration nous est proposée à travers le regard acerbe de Tian Sen, âgé d’une vingtaine d’années. Ce long périple n’est pas son choix. Il remplace son ami Hoy qui s’est désisté au dernier moment, le bienheureux! Rien ne le retenait vraiment non plus à Kwan Chou, pas même Liling, sa belle étoile.
« La ville ne m’a pas retenu, ni le soir ni le jour ».
« Je suis allongé dans le noir. Pris dans cette foule de gars de mon âge, silencieux enfin, à écouter la nuit de Kwan Chou. Dans le ventre d’acier qui doit nous porter si longtemps, si longtemps – ça doit être comme pour certaines bêtes à gestation longue. »

Tian Sen est assailli par les bruits, gigantesque cacophonie, les cris parfois, les odeurs souvent pestilentielles, les querelles, les folies des uns, les lamentations des autres…Comme partout les petits trafics d’influence et les petites magouilles se développent. C’est humain, ou plus exactement, c’est cela l’Humain, hélàs! Et Pao, le voisin de cale de Tian Sen, avec son précieux petit coffre, est un modèle du genre. Les dangers sont multiples: les gardes-côtes, les how-tao (pirates cruels), le viol, les épidémies, le scorbut… la mort rôde… et quand on meurt, on nous offre la mer comme sépulture. Certains préfèrent d’ailleurs s’y jeter plutôt que de poursuivre avec ce calvaire.
« on est le fonds de commerce des pirates »
Pour s’évader de cet enfer maritime, Tian Sen promène partout avec lui son baladeur. On dit que la musique adoucit les mœurs!!!!
« Je voudrais qu’une vague nous submerge, nettoie tout et chasse l’odeur. De la crasse ou de la peur. »
« Pao échange tout, objets et informations, désirs et promesses. Je me demande ce qui lui profite le plus, les victuailles piquées à la cuisine ou les nouvelles fraîches. »

Comme toujours lorsque les circonstances deviennent âpres, l’humanité n’est plus qu’une notion fortement remise en cause et Carl de Souza évoque avec réussite cette bestialité qui l’emporte vite et réduit chacun à ses instincts primaires. Ses personnages sont bien campés, notamment Pao, cette anguille qui se glisse partout, qui furète sans cesse, inconscient de la tragédie qu’il orchestre lui-même. Yap, l’ancien garde-rouge révoqué, semble aussi plus vrai que nature.
« Yap Sen Chong, insensible au fiel qui sourd de part et d’autre de son propre bateau, entraîné dans une cavale contraire à la logique des boussoles et des cartes. »
Le style éclaté de Carl de Souza est efficace. Il m’a semblé que j’étais parfois gagnée par le mal de mer et que mon lit tanguait en mer de Chine. Je ne vous raconte pas la traversée de l’Océan Indien!!! Soucieux de reproduire l’éclatement des pensées, le chaos ambiant, il est parfois à la limite du désordre et de la cacophonie. Tout tangue au fil des pages et le lecteur a parfois du mal à se tenir au bastingage. Sa raison peut quelquefois se trouver au bord de la noyade et rêver d’un tsunami géant. Je me suis sentie coincée au fond de la cale parfois, me demandant, à l’instar des personnages, quand nous parviendrions à destination. J’avais hâte de débarquer en Amérique moi aussi pour échapper à cette souffrance et respirer de nouveau l’air libre. Hâte de savoir où ils échoueraient, parce qu’il faut bien arriver quelque part….

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