La saga du sari (épisode 2)
Le sari a toujours fasciné les voyageurs occidentaux qui posèrent le pied en terre indienne, comme en témoignent les nombreux récits de voyage. Emmanuel Richon illustre son propos de nombreux témoignages tous plus intéressants les uns que les autres. Il emprunte à la littérature, se référant à Loti, Leconte de Lisle, Jacquemart et il explique notamment comment le sari a pu influencer la poésie baudelairienne : la théorie des synesthésies trouverait son origine dans le sari. Selon lui, ce vêtement a amplement contribué à une indophilie.
Mais qu’admirait-on dans le sari ? Les couleurs. La légèreté. La féminité et la sensualité. La qualité des tissus bien supérieure à ce que l’on trouvait en Occident. Richon développe alors longuement comment le sari est apparu aux occidentaux comme un défi technique à relever.
C’est aussi pour lui l’occasion d’appréhender certaines techniques. On apprend ainsi que les NENSOUQUES, saris du Bengal, sont tissés, à Dacca et dans les villages environnants, dans des cuves pleines d’eau parce que les vapeurs humectent constamment la chaine et le coton, ce qui valorise la qualité de l’étoffe. Ceci explique pourquoi on ne tisse cette toile que cinq mois de l’année, après la fonte des neiges. La région du Bengal est d’ailleurs fortement impliquée dans la production des saris. La plupart des soies proviennent de ce secteur. Pour adoucir les étoffes ainsi produites on les lave souvent dans des lessives comportant 15 à 18 livres de stéatite diluées dans une centaine de litres d’eau. C’est une façon d’épurer le tissu. On fait bouillir ce mélange une trentaine de minutes puis on y place les pièces de tissus une fois l’eau refroidie. On les fait ensuite sécher au soleil. Les tissus varient et chaque ville indienne a le sien : tussor, madras, percale, organdi, dorea, tarlatane, madapolam…
Ces tissus pénétrèrent l’Europe au XVIII°, transitant notamment dans le port de Marseille. Ils constituèrent une véritable menace pour les fabrications textiles si bien qu’on tenta de mettre en place toute une législation pour contrer la fabrication et l’importation indiennes. On reprochait à ces étoffes d’être de meilleure qualité (plus épurées) et on jalousait les techniques de teinture. Parallèlement, l’Europe procéda à un espionnage industriel important. J’ai vraiment trouvé l’ouvrage de Richon intéressant et éclairant à ce sujet ! On alla même jusqu’à importer des ouvriers indiens. Ainsi la petite ville de Thieux en Seine et Marne accueillit fin XVIII° une cinquantaine de fileurs et de tisserands originaires de Pondichéry. Conduits jusque là par le vice-amiral de Suffren, ils résidèrent dans le château de J-Jacques Mauville Michon de Montaran où fut créée une manufacture.
Cette rivalité permit une incroyable révolution industrielle ! Elle occasionna des progrès chimiques puisqu’on chercha à améliorer la qualité des teintures, mais aussi mécaniques, avec la conception du métier à tisser Jacquart. Pour la petite histoire, ce célèbre métier à tisser, qui comportait un programme avec des cartes perforées, est souvent considéré comme l’ancêtre de l’ordinateur. Ces métiers sont encore beaucoup utilisés dans la fabrication des saris en Inde, même si la révolution numérique génère d’autres évolutions.