Un petit détour par le séga
Sensible au blues et à un certain jazz, bercée depuis quelques décennies par le zouk et le bélé, j’ai eu envie d’en savoir plus sur le séga. Je me suis donc procuré le petit ouvrage d’Emmanuel Richon, conservateur du Blue Penny Muséum de Port-Louis, « Séga, témoignages anciens et récents » publié aux Editions Mauritiana.
https://www.youtube.com/watch?v=-Esa8G0x3Wo
Le séga appartient à la culture populaire et surtout à la culture maronne (celle des esclaves avides de liberté). C’est une voie d’affranchissement, ou tout au moins d’affranchissement psychologique et moral. Il concerne les îles de l’Océan Indien (Rodrigues, la Réunion, Madagascar, Maurice, les îles de Chagos et les Seychelles). C’est une musique intiment liée à la question identitaire. On suppose que le terme vient du swahili « sega » signifiant « relever, retrousser ses habits ». Si on lui a jadis reproché une trop grande sensualité, le séga a des vertus libératoires. Loin de se limiter à une fonction exutoire, cette musique a pu aussi rythmer les actes du quotidien et agrémenter le travail.
Des instruments simples et sophistiqués à la fois
Les instruments traditionnels relèvent d’une certaine simplicité dans la mesure où ils sont majoritairement fabriqués à partir de matériaux de récupération ou d’objets détournés comme des bidons ou des « Jerrycans ». Ces derniers sont assemblés avec une grande inventivité et permettent in fine des rendus musicaux complexes. On dénombre ainsi le bambou (ancien mât de pirogue que l’on frappe avec des bâtonnets ), le banc (percussion), le bloc (un cube de bois), le jerry-can, le katcha katchia (sorte de hochet à capsules), le ti ros (percussion), le zèse (caisse de résonance en métal placée contre le corps), le triangle (héritage européen) , la serpe (machette assagie en instrument), la ravanne (peau de cabri séchée au soleil et tendue sur un cercle en bois de goyavier de Chine, réputé pour sa grande souplesse. La peau est souvent fixée à l’aide de semences). Ajoutons à cela la maravane (sorte de grand hochet rectangulaire, « boîte » contenant des graines de job, de safran ou de kaskavel), le kordéon ou « ralé poussé » (accordéon diatonique surtout présent sur l’ile Rodrigues), le makalapo (arc en terre, instrument monocorde avec une caisse de résonance fabriquée à partir d’un trou creusé en terre et d’un seau de maçon renversé. Selon la légende, il permettrait par ce contact avec le sol, la communication avec les ancêtres) et le bob ou bobre (arc musical conçu le plus souvent à partir de bois de pomme marron, qui peut être pincé ou battu avec une baguette en bambou appelée batavek ou ticouti. On fabrique la caisse de résonance avec une calebasse ou une poterie coulissant sur la corde et le manche.
https://www.youtube.com/watch?v=pvERuE14uJQ
Un langage du corps aussi
La danse occupe une place importance dans les cultures des îles de l’Océan Indien. On danse à la plage autour d’un feu pour réchauffer les peaux de cabris des ravannes, dans des « salles vertes » (extérieure), dans des salles de danse (on parle alors de bals bobèches) ou dans la rue. On y danse la valse, le quadrille (comme aux Antilles) mais aussi le séga. J’aborderai la question des danses indiennes un autre jour. Il existait aussi jadis certaines danses de foulard qu’on s’échina à interdire, sans doute parce qu’il s’agissait de rendre un hommage appuyé aux fessiers.
A l’origine, le séga laisse la part belle aux femmes puisqu’elles choisissaient leur partenaire. Aujourd’hui la danse s’ouvre sur le « barté » : l’homme ouvre largement les bras en guise d’invite et les femmes, vêtues d’amples robes, effectuent des figures gracieuses, les plis de la robe bien en main, afin de mettre en valeur le bas de ses jambes et de séduire adroitement le partenaire. S’ensuivent des virevoltes, des « vanne vanner ». Le séga se danse quasiment sur place. Lorsque la frénésie est au rendez-vous, la danse est « pile kalu ». Les danseurs les plus adroits se lancent dans un « terre à terre » : fléchissant les genoux, ils finissent par danser accroupis, renversant progressivement le torse en arrière. Le séga, vous l’aurez compris, tout comme le bélé, peut avoir une connotation érotique évidente. Tout l’art consiste cependant à ne jamais se toucher ! Pour la petite histoire, si l’on se rapproche de sa partenaire, on « danse à l’accostage », si l’on garde ses distances, on danse « à la gaulette ».
Que nous content les chansons ?
Il faut garder à l’esprit que l’histoire du séga est liée à celle de l’esclavage. Il est donc question des souffrances générées par le déracinement, l’exil, l’absence de liberté. Cris de révolte, lamentations et images du quotidien se fondent en un message malgré tout positif. Acte de résistance, le séga se joue des interdits et des tabous, non sans humour et espérance d’une vie meilleure.
J’ai pris plaisir à te lire, ton billet est passionnant et il me tarde que tu nous parles des danses indiennes. Bises
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