Littérature étrangère

« Le tour de Babylone » de Barlen Pyamootoo


le-tour-de-babylone-barlen-pyamootoo-9782879292281 « Le tour de Babylone » de Barlen Pyamootoo, Editions de l’Olivier, 2002

Ville antique de Mésopotamie, baignée par l’Euphrate, Babylone est une ville irakienne sise à une centaine de kilomètres de Bagdad. Fondée aux environs de 1894 avant JC. Elle connut son apogée sous la gouvernance de Nabuchodonosor II au VI ème siècle avant notre ère.
Babylone est une de ces villes mythiques, à la fois honnies et admirées, gigantesques et grandioses mais en grande partie perdues, associées à l’idée d’une certaine luxuriance. Comme pour les gens que l’on envie parce que leur réussite peut sembler indécente et douteuse, les civilisations et les cités voisines se sont ravies de sa chute, si emblématique de l’orgueil et des péchés de ses habitants. Rappelons qu’elle occupe une place de choix dans les écrits bibliques, notamment parce qu’elle est associée à la Tour de Babel… Babylone symbolise la cité du Mal frappée par la sanction divine.
Sachant cela, nous ne pouvons qu’éprouver une curiosité évidente pour le roman de Barlen Pyamootoo. Quelle sera sa vision de babylone? Quel traitement littéraire va-t-il en proposer?

Avec son court récit, « Le tour de Babylone », Barlen Pyamootoo nous invite à un voyage original au cœur de l’Irak. Fort d’une écriture incisive, en mouvement perpétuel, il nous offre une road-story moderne et poétique, à la fois touchante, respectueuse et un tantinet critique. Ainsi qu’il le rappelle dans son épigraphe, l’expression « faire le tour de Babylone », dans la culture mauricienne, « est une expression péjorative. Elle signifie errer, vagabonder, et ainsi dévier de son chemin ». La gageure pour Barlen semble donc de faire œuvre de ce vagabondage.

Le périple s’ouvre sur une Bagdad d’après guerre dans laquelle les hommes tentent de survivre comme ils peuvent et de garder le sourire. Le narrateur déambule à travers les rues et ruelles irakiennes en compagnie de son ami Hassan. C’est l’occasion pour lui de nous livrer son regard incisif sur les hommes, les objets, les bâtisses, mais aussi ses considérations sur l’humanité au sens le plus large du terme. Il navigue au cœur des odeurs, des bruits et des couleurs ; il se fraie un chemin dans cette ville bombardée où seuls les statues et les portraits à l’effigie de Saddam semblent encore tenir parfaitement debout.
« Hassan continue à nommer les rues et les bâtiments, à évoquer l’histoire, la dictature et l’embargo, mais rien ne vit autant en lui que les gens qu’on croise, leurs manières de s’exprimer ou leurs métiers s’ils travaillent. Il parle tellement vite que j’ai parfois l’impression qu’il me tire la langue. ».

« On s’arrête au coin de la rue et on regarde un portrait de Saddam accroché à un réverbère. « Il est partout », me dit Hassan, « en train de refaire l’Histoire ».

Il poursuit son chemin jusqu’à Samarra, avec Ismaël, compagnon de fortune découvert au hasard d’une route, puis avec les nièces de ce dernier. Il continue jusqu’à Babylone, l’objet de sa quête… comme pour trouver, peut-être, le sens des reproches paternels : « Quel tour de Babylone as-tu encore fait ? ».
« Je quitte Bagdad avec soulagement, ç’a été une souffrance, tous ces bruits, j’ai dû me soûler plusieurs nuits pour dormir. »

« Les maisons sont basses près de la rivière à sec, la route est gluante et les arbres sans sève. Des ordures s’entassent dans tous les coins, des bannes partent en lambeaux et des voitures déglinguées croupissent autour des bâtiments hideux. Des marchands ambulants tournent en rond devant la caserne des pompiers, des femmes aux yeux vides et un homme au regard féroce attendent à un arrêt d’autobus en trépignant d’impatience : la chaleur, la fumée et la laideur leur mettent sûrement les nerfs à vif. »

« Un tableau est accroché au mur, on y voit des bêtes sauvages et Saddam en culotte de peau qui les terrasse à coups de massue. »

« Tous les murs ont des messages et des mors d’ordre aux paraphes confus. On lit : guerre sainte, vengeance, poules d’eau, s’adresser à Ziyad, match de boxe à six heures au pavillon à tête de mort des pirates. »

« Je passe devant des portes ouvertes, des têtes qui flottent comme des lotus entre les rideaux et des murs éclaboussés de mouchetures de salive. »

De retour à Bagdad, il flâne à Luna Park, un parc d’attractions, où plaisirs et distractions riment parfois avec danger, il y rencontre Cassidy avant de flâner dans le désert jusqu’à Amman avec Salma.

J’aime beaucoup l’écriture sensitive, synesthésique et très cinématographique de Barlen. Chaque phrase ou presque est comme un instantané, « comme un poème de Pessoa ».

« Un chien se cogne contre un réverbère en m’évitant, ça fait rire l’homme au pyjama rayé qui me salue d’une voix de gamin, l’autre porte la main à son chapeau. Le chien clopine entre les poubelles et s’éloigne en aboyant après un autobus qui démarre avec une brusque secousse. »

Il retrace la vie dans sa multitude, nous offre un monde qui grouille, qui foisonne…

« Par moments mes yeux se ferment de béatitude, je pense à mon voyage, prêt pour l’aventure, et à d’autres je me laisse bouleverser par des images qui peuvent paraître fugaces ou anodines : des pierres gravées au-dessus des portes, un homme qui se bat tout seul dans l’herbe, coiffé d’un turban au tissu rayé, des ouvriers écroulés le long d’un mur et au coin d’un sentier une barque que répare un calfat en tapant du pied. »

Son regard « photographique » a le sens de l’instant et de ses détails. Chaque individu croisé est l’occasion d’une histoire. Plus que tout, Barlen Pyamootoo s’intéresse à l’humain.

« Salma marche en équilibre au bord du trottoir et me parle des gens de Bagdad qui se croient dans des films, ils ont des gestes et des expressions empruntés aux acteurs, c’est leur façon de peindre la vie en rose. « Ou c’est peut-être parce qu’ils aiment les histoires, dis-je. »

Alors quelle est-elle la Babylone de Barlen? De quel tour nous entretient-il si ce n’est celui de l’humanité?

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