« Ce que je sais de Vera Candida », de Véronique Ovaldé, Edit° de l’Olivier, 2009
Lorsque je songe à un adjectif susceptible de résumer mon sentiment sur les romans de Véronique Ovaldé, c’est le terme anglais « uncredible » qui me semble le plus adapté.
Lire un roman d’Ovaldé c’est toujours entamer un périple improbable dans des trains, des bus, des voitures, aux côtés de compagnons de voyage étonnants, attachants, détonants.
Véronique Ovaldé nous conte cette fois le parcours d’une dynastie féminine confrontée à dieu sait quelle malédiction qui s’ingénie, sous des formes masculines variées, à marquer leurs existences du sceau du malheur. Qui parviendra donc à briser cette chaine ? A quel prix ?
Le récit s’ouvre sur le retour de Vera Candida à Vatapuna, son île natale. A l’annonce de sa mort prochaine, à peine âgée de 39 ans, elle décide de renouer avec ses racines, son histoire, pour mieux accepter sa fin.
Vatapuna, tout comme la ville de Lahoméria sur le continent, sont des lieux improbables et pourtant convaincants comme Ovaldé a le don de les inventer, deux points quelque part entre Caraïbe et Amérique du sud, entre liberté et dictature.
Elle entame alors un voyage à rebours, foisonnant de souvenirs et de figures féminines emblématiques. Rose Bustamente, la grand-mère, « meilleur pêcheuse de poissons volants » mais aussi « plus jolie pute de Vatapuna » ; Violette, la mère, un de ces êtres faibles, la mère déchue à force de plaisirs faciles ; Vera Candida, la battante, la courageuse, le maillon qui brise le sortilège familial et Monica Rose, la femme libre. Ces portraits hauts en couleurs prennent vie sur fond d’anecdotes difficiles, drôles, toujours « croustillantes », comme si la ténacité de ces femmes passait par une certaine dérision. Véronique Ovaldé, il faut le souligner, a aussi le don d’enchainer des séries d’illogismes, de péripéties hallucinantes, pour en faire une histoire aussi claire et crédible que surprenante.
« Vera Candida devait faire le voyage depuis Nuatu dans un chalutier qui remplissait ses cales d’anchois et d’émigrants clandestins. »
Face à elles se tiennent les hommes, bien sûr, notamment Jeronimo, le « chetsetteur » au passé aussi trouble et douteux que ses mœurs, et Billythekid (Itxaga), journaliste à L’Indépendant de Lahoméria. Ces deux là sont comme le ying et le yang, la gauche et la droite, le mal et le bien. Sans doute faut-il comprendre ainsi ce prénom qu’il partage : Jéronimo pour le premier, Hyeronimus pour le second. Le premier, qui « aime les femmes bavardes », mais qui les aborde pourtant en prédateur ; le second qui vole à leur secours et qui sait les aimer, même en silence. Le premier est une figure diabolique, le second a des allures de messie.
Vous l’avez compris rien n’est simple ni facile entre les deux sexes et pourtant le récit est aussi une belle histoire d’amour. L’amour a bien du mal à se glisser dans ces pages, ce n’est pas en empruntant les 132 marches qui mènent à la demeure de Jéronimo qu’on gagne le septième ciel quand on est femme! Ce n’est pas non plus dans la cabane de Rose Bustamente ! Une femme ne se prend pas, elle s’apprivoise et il faut tout l’art d’aimer de Billythekid pour y parvenir et briser le sortilège.
Comme j’adore les voyages, même s’ils ne se font pas en train, et que j’aime ces portraits de femmes, ces univers inouïs, un peu déjantés, où les situations les plus cocasses, le rire, se mêlent à la douleur, à l’âpreté des existences, je me suis régalée encore une fois. Ses récits sont véritablement jubilatoires !
Quelques extraits :
« Vera Candida est seule dans le minibus, elle n’a plus de bébé dans le ventre, mais quelque chose de moins étranger et de plus destructeur, et elle n’a plus quinze ans. »
A propos de Rose :
« Elle était habile et dure à la tâche, toutes qualités qui lui avaient fort servie dans ses deux métiers. »
Un exemple de la sagesse de Rose Bustamente
« Il y a des gens qui pensent qu’il suffit que vous leur plaisiez pour qu’ils aient droit à votre corps, énonçait souvent Rose Bustamente. Attends la coïncidence des corps ajoutait-elle. Il faut que tu saches plus ou moins où commence ton corps et où finit celui de l’autre, complétait-elle. »
« La perspective d’un lendemain était déjà un projet à si long terme qu’elle donnait le tournis à Vera Candida. »
A propos de Jéronimo :
« Jéronimo avait le chic pour que vous vous sentiez toujours fautif devant lui, même quand il faisait preuve de la pire goujaterie. »
Un exemple de la fantaisie de Véronique Ovaldé :
« Renée resta digne comme elle imaginait qu’on devait l’être en un tel moment, elle se dit, Fais comme Jackie à l’enterrement de JFK, et ça lui remonta un peu le moral de se comparer à l’une des veuves favorites. Elle demanda à voir les effets personnels de Gudrun Kaufman et on lui dit qu’ils avaient été égarés.
Alors quand elle sortit de l’institut médico-légal, aveuglée par le soleil de l’après-midi, elle préféra faire une escale pour boire quelque chose de froid et de fort avant de rentrer au palais des Morues (un foyer pour jeunes femmes en situation délicate) annoncer aux filles qu’on fermait boutique. »
« Quand Véra Candida pensait à la période précédant son installation chez Itxaga, elle avait l’impression d’avoir vécu coincée dans le tiers-monde et que peu à peu son pays – circonscrit à son corps, son esprit et sa fille – s’était ouvert à une certaine forme de démocratie et de richesse. Il lui semblait qu’à l’époque elle ne parlait pas ou si peu qu’elle bredouillait ce qu’elle avait à dire et que la parole lui avait été donnée au contact d’Itxaga. Elle se souvenait d’elle-même comme d’un petit animal fruste et effrayé. »
je garde un très bon souvenir de cette lecture que j’avais aussi particulièrement aimée!!!
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Comme toi j’apprécie toujours cette auteure que je trouve brillante.
Bisous!
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Brillante est le mot en effet! Que de romans jubilatoires!
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brillante est le mot en effet!
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