« Chouquette », Emilie Frèche, Actes Sud, 2010
On ne peut pas dire que Catherine Grimbert, alias Chouquette, comme la pâtisserie et ses morceaux de sucre, mène une existence sucrée…loin de là. Cette sexagénaire « connaît la crise »…et tente de survivre dans le flot de ses amertumes. Sur fond de krach boursier, dans de vacances dans la villa de Saint-Tropez, de yachts où l’on crie « Fuck the récession » une coupe de champagne à la main, Catherine cultive l’art du déni. Nantie mais flouée par la vie, elle attend de savoir si Jean-Pierre, son époux, viendra la rejoindre pour le week-end le jeudi ou le vendredi, refusant d’admettre qu’il l’a quittée trois ans auparavant. Elle l’attend en compagnie d’un petit fils, dont elle peine à assumer la présence, et de Diane Van Keler, l’une des ex-maîtresses de son mari, une femme d’affaires persuadée d’être libre.
Elle clame à qui veut l’entendre, à commencer par sa fille Adèle, qu’elle veut PROFITER de la vie, mais son aveuglement sur sa situation amoureuse, la conduit à confondre profit avec mensonge, alcoolisme et profonde solitude.
« Il faut que tu te réveilles Adèle, mamie Nova c’est terminé ! Oui je me fais sauter ! Oui, je prends mon pied ! J’ai soixante balais et je mouille encore le fond de ma petite culotte, si tu veux tout savoir ! »
Purs fantasmes pour tenter de se croire encore une vie. Catherine ne se mouille plus que dans sa piscine ou sa salle de bain, et son pied ne se prend plus que le tapis…Chouquette est franchement pathétique ! La preuve, elle en vient à envier l’une de ses connaissances contrainte de s’occuper d’un mari malade qui la laisse désormais à l’abri de toute tromperie.
« Elle demeura quelques secondes sans bouger, son cellulaire scellé à son oreille comme un coquillage dans lequel elle aurait pu entendre et réentendre la dernière phrase de son mari. »
« Chouquette » est l’un de romans contemporains, qui mêle réflexion sociale et questionnement de l’humain, superficialité, artifices et profondeur. Ce court récit est une histoire de crises qui n’est pas dénuée d’intérêt mais qui manque parfois d’épaisseur. Quant à l’écriture, elle me semble gratuitement relâchée. C’est très tendance de mêler les niveaux de langue, mais souvent cela s’impose par la caractérisation des personnages ou des milieux. Moins ici ! Même les traits d’humour semblent parfois un peu trop faciles, trop attendus. On passe un moment plaisant certes, mais rien d’inoubliable excepté la soirée promotionnelle pour les préservatifs DUREX.
Quelques aperçus :
« Catherine portait le même jugement sur les bonnes que sur les hommes, elle considérait que la difficulté n’était pas de les trouver, mais de les garder et que, de ces êtres ingrats, il ne fallait pas attendre la moindre moralité : du jour au lendemain, ils pouvaient vous quitter. »
« Catherine accepta le préservatif à la fraise que l’hôtesse lui tendit et, derrière Diane, s’engouffra dans l’énorme pénis en plastique qu’un artiste new-yorkais avait spécialement créé pour la soirée. Aucune lumière n’éclairait l’intérieur. Le plasticien avait sans doute voulu qu’il y fasse aussi sombre que dans un sexe d’homme, mais les deux femmes redoutèrent de se tordre la cheville et se prirent par le bras, tels deux spermatozoïdes en déroute. »
« le temps jouait pour les hommes. Les hommes ne possédaient pas d’horloge, pas de limite, rien d’autre ne les guidait que leur désir, ils pouvaient donner la vie bien après que leur fille n’en était physiquement plus capable, être à la fois père et grand-père, toucher des allocations familiales, bénéficier d’une carte vermeil, et quand tout cela devenait vraiment trop compliqué, ils trouvaient encore le moyen de remettre les compteurs à zéro… »
« La bourse s’écroule jeune homme, mais pas le capitalisme. »
« Cette crise n’a rien à voir avec ce que l’on connaît, avait dit le jeune trader, ce n’est pas une crise financière, c’est une crise d’avidité, tout va s’effondrer. »