Littérature étrangère

« Seventeen » de Kenzaburô Oé


Seventeen de Kenzaburô Oé

seventeen.jpg                  Nouvelle d’environ 90 pages, initialement publiée dans le recueil « Le faste des morts » en 1961.

Pour ce récit Oé s’inspire de l’assassinat du chef de file du parti socialiste japonais par un adolescent, militant d’extrême droite. L’ensemble de son oeuvre a été récompensée par l’attribution du prix Nobel de littérature en 1994.

En toile de fond: Le Japon (plus précisément Tokyo) des années 60, en proie au développement de l’ultranationalisme du parti impérial. Cette nouvelle valut d’ailleurs à son auteur l’inimitié de l’extrême droite (avec menaces de mort et tutti quanti). Le Japon de ces années-là connait encore la présence des forces armées étrangères. Ses rapports avec la Corée du Sud sont en outre assez tendus.

De quoi est-il question? Le récit, à la première personne, s’ouvre sur l’anniversaire d’un ado fort mal dans sa peau, en quête de reconnaissance. Sa famille occulte totalement son dix-septième anniversaire. Ce jour aurait donc pu être un jour comme un autre. Et pourtant… son existence va connaître un bouleversement irrémmédiable! Ce jeune, qui se définit à juste titre comme « un branleur hors pair », au figuré mais surtout au propre (enfin si je puis dire), se réfugie dans un onanisme intempestif et prend le contre-pied du poème de Rimbaud: on n’est ni heureux, ni insouciant quand on a 17 ans! Même lorsqu’on appartient à la petite bourgeoise japonaise. Sa soeur, symboliquement myope, travaille à l’hôpital des Forces de Défense et tente d’oublier sa laideur dans la lecture. Son frère travaille à la télévision et vit dans son monde, indifférent aux autres. Son père officie comme censeur dans un lycée privé et se montre sensible au libéralisme américain. La mère??? c’est la minorité silencieuse dans sa cuisine! 

Ce soir-là, une querelle à teneur socio-politique l’oppose bêtement  à sa soeur. Sa sensibilité de gauche se heurte au conservatisme de son aînée. A court d’arguments, vexé et agacé par l’indifférence familiale, il perd son contrôle, en vient aux mains et brise les lunettes de sa soeur. Cette scène primitive signe la rupture définitive avec les siens, mais aussi avec ses propres convictions, comme par accident. Reclus dans une cabane de jardin qui lui sert d’antre et qu’il partage avec Bandit, un chat de gouttière rejeté par tout le quartier, il cède un temps à un curieux apitoiement sur son sort, mêlé d’un auto-dénigrement dévastateur.

« A dix-sept ans, j’étais sur la pente descendante… »

Il meurt alors à lui-même dans une lente et sournoise agonie. Le lendemain, après une journée aussi pesante et humiliante que les autres, il décide de sortir de cette impasse et il accepte de suivre Shin-Tohô, un camarade, qui lui propose d’aller faire la claque pour la droite, dans un meeeting de l’Action Imépriale dont le leader est Kunihiko Sakakibara. Vient alors le temps d’une conversion aussi violente qu’inattendue…

Aperçu:

« Un grand miroir était posé au mur du vestiaire attenant. Je découvris mon reflet: seul, debout, plongé dans une lumière jaune, déprimé. C’était bien un seventeen déprimé: sur son bas-ventre à peine poilu, son sexe pendait flapi, avec son prépuce tout ridé, bleu-noir, fripé comme une chrysalide… »

« A la seule idée qu’existât en ce monde une conjonction de corps et d’esprit, appelée moi, j’en serais mort de honte. J’aurais préféré opter pour une existence solitaire de troglodyte, comme un homme de Cro-Magnon devenu fou dans sa grotte. »

« Certes, je suis un seventeen pitoyable et laid, mais le monde d’autrui m’a tout de même infligé un sort cruel, trop cruel. Maintenant je vais cesser de me raccrocher à leur monde réel en espérant y trouver un peu de bonté: j’en ai décidé ainsi, plongé dans un abîme de honte et d’épuisement, et avec ça j’éternuais à cause de la moiteur glacée de ma culotte. »

Mon avis: le style, souvent cru, est presque déroutant pour un roman japonais. Pourtant la narration conserve une étrange retenue. Les analyses psychologiques de ce basculement sont bien menées, ce qui explique sans doute la gêne persistante, le malaise presque que j’ai rencontré à la lecture. La nouvelle est dérangeante à souhait, sombre.. Ce fut comme une claque magistrale!

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