Salogi’s de Barlen Pyamootoo
Salogi’s de Barlen Pyamootoo
Auteur, éditeur, animateur de l’Atelier d’Ecriture de l’Institut Français de Maurice, Barlen Pyamootoo s’impose un peu comme un « homme-orchestre », s’intéressant à tout : littérature, musique, cinéma, philosophie…
Avec Salogi’s, publié aux Editions de l’Olivier en 2008, Barlen nous offre le livre de sa mère, décédée en 2005 :
« Ma Mère est morte le 26 mars 2005, écrasée par un bus. Le chauffeur : un jeune receveur qui faisait des manœuvres à la gare routière de Flacq et qui n’avait même pas son permis. »
Je ne suis pas friande de ce genre de récit d’ordinaire et c’est un euphémisme ! Mais ce petit livre testament, qui rend hommage à Salogi, évite à mon sens les écueils du genre, notamment une sensiblerie exacerbée souvent pesante. L’amour, la gratitude et l’admiration du fils pour cette femme modeste, qui fait preuve d’une volonté sans faille et d’un amour inconditionnel pour les siens, émaille évidemment ce récit qui s’impose aussi comme un témoignage sur le quotidien difficile des Mauriciens dans un temps pas si lointain.
Barlen retrace donc le parcours de cette femme exemplaire, qui découvrit les plaisirs de la lecture et de l’écriture à l’âge adulte, par sa seule volonté, au point de laisser derrière elle un petit cahier renfermant quelques pensées et souvenirs:
« Comme tous ses frères et sœurs, ma mère a fréquenté l’école primaire qui longeait le canal derrière le cinéma Buckingham. J’ignore ce qu’on lui a appris, je sais qu’elle a été punie pour ce qu’elle était : pour l’ignorance et la pauvreté de ses parents, pour son vocabulaire restreint, l’aspect de ses vêtements et probablement la couleur de sa peau. Elle a arrêté l’école à huit ans sans savoir lire ni écrire. »
Au fil des souvenirs épars qu’il évoque, Barlen retrace aussi son propre cheminement entre l’Ile Maurice et Strasbourg, terre d’exil, entre la culture et les rites tamoul et sa découverte de l’Europe. Au delà de l’évocation de la fratrie et du clan familial, de ses liens et de ses dissensions, le récit se lit aussi comme une réflexion sur l’évolution de Maurice, jamais pesante, tout en suggestion.
Salogi’s est une œuvre généreuse à l’image de la bonté de cette mère toujours prête à partager ce qu’elle a et même ce qu’elle n’a pas ; un récit sans ambages, simple, pudique et pourtant sensible. La lecture ne nous procure qu’un seul regret: celui de n’avoir jamais rencontré Salogi.
Mes passages favoris :
« Le réconfort des traditions avec les rites et les cérémonies, les bijoux et leurs symboles, les plats comme on les prépare, avec quelles épices et dans quel ordre savant, et les mots tamoul qui les désignent, pourquoi je les ai perdus, s’il est encore temps de les sauver de l’oubli, c’est ma mère aussi que je maintiens en vie. »
« J’ai d’abord ressenti de la gêne en l’écrivant, car il m’a fallu composer, raturer, reformuler. J’avais l’impression de m’éloigner du fils éprouvé et de jouer à l’écrivain qui perdait tout naturel en prenant le parti de l’art. »
« Ma mère se levait à cinq heures, prenait son thé dans une boîte de conserve à laquelle son père avait ajouté une anse, puis elle balayait la cour et arrosait les plantes. »
« C’était un trait typique de ma mère, un rituel chez ceux qui ont connu la pénurie, soit ils s’accrochent à leurs sous avec désespoir et prétendent ainsi combler un manque ancien, soit ils vous emmènent à la cuisine et vous regardent avec ravissement manger à votre faim. »
« Quelques années plus tard, quand je suis retourné à Maurice en vacances, les salles de cinéma avaient été, pour la plupart, transformées en usines textiles avec dortoirs incorporés pour les travailleurs étrangers. Quant aux Mauriciens, leurs têtes s’étaient fendues en tirelires, puisqu’ils ne parlaient plus que d’argent, de profits et de toutes sortes d’affaires. Ils appliquaient sans réserve ni pudeur la consigne du Premier Ministre : le ventre emmerde la morale. »
« Il m’a fait comprendre que les vrais pauvres se dérobent à nos regards, ils habitent des endroits qui n’ont leur place sur aucune carte, car il n’y a rien de plus solitaire qu’un ventre vide. »
« Elle glissait les photos de ses enfants sous ses vêtements pour qu’ils soient aux premières loges quand le prêtre bénirait les fidèles, elle a cru que c’est en priant beaucoup qu’on fait le bonheur des siens. »