« Sacrifices » de Pierre Lemaître
Paru chez Albin Michel, octobre 2012, 362 p.
Un bon polar certes… une intrigue bien ficelée…un bon rythme (souligné par l’organisation de la narration en trois journées et par la multiplication des notations horaires)… Lemaître reste pour moi un maître du genre… Ce dernier volet de la trilogie Verhoeven (qui fait suite à « Travail soigné », un modèle de polar, et « Alex ») m’a cependant légèrement déçue… un petit goût de réchauffé sans doute!
Nous retrouvons donc le commandant Camille Verhoeven, petit par la taille (1,45 m) mais grand par le talent, confronté à un braquage spectaculaire de violence. Par un coup de force digne de ce flic tenace, si particulier, Camille est chargé de l’affaire… une affaire personnelle aussi puisque l’une des victimes n’est autre qu’Anne Forestier, la femme qui occupe sa vie. Pour Verhoeven, c’est un peu comme si l’histoire se répétait (Irène, son épouse a en effet connu une mort atroce…)
Mais en est-il si sûr??? Les frontières entre doutes et certitudes semblent aussi ténues que celles qui distinguent les flics des voyous…Quel jeu se trame-t-il ici ????
Un jeu bien tragique sans aucun doute, comme le suggère le titre! Ce roman, par bien des aspects, relève en effet de la tragédie. Les personnages, qu’ils croient le décider ou non, ne sont que les jouets d’une machine infernale qui n’a rien à envier à certaines pièces classiques. Ils ne sont que les rouages d’une machination dont personne ne sortira indemne, pas même le lecteur.
Ce que j’ai aimé:
– les monologues intérieurs du suspect/tueur qui participent efficacement du suspense
– le jeu sur les points de vue
– l’art du clin d’oeil littéraire, caractéristique de l’écriture de Lemaître
– le style, le sens de la formule
Ce que j’ai moins aimé:
– l’insistance sur la taille de Verhoeven qui finit par me lasser. Cela devient quelque peu caricatural
Quelques passages forts:
Je me dois de reconnaître que l’entame du roman est assez époustouflante. Elle place d’emblée le roman dans la tragédie et , conséquemment, dans le polar de haute tenue!
« Un événement est considéré comme décisif lorsqu’il désaxe totalement votre vie. C’est ce que Camille Verhoeven a lu, quelques mois plus tôt, dans un article sur « L’accélération de l’histoire ». Cet événement décisif, saisissant, inattendu, capable d’électriser votre système nerveux, vous le distinguez immédiatement de tous les autres accidents de l’existence parce qu’il est porteur d’une énergie, d’une densité spécifiques: dès qu’il survient, vous savez que ses conséquences vont avoir pour vous des proportions gigantesques, que ce qui vous arrive là est irréversible. »
« La somme de coïncidences nécessaires pour qu’une catastrophe survienne est proprement déroutante. »
« Ce qui va se passer est le résultat presque mécanique de la situation, deux énergies opposées vont se confronter. Il faudra que l’une ou l’autre l’emporte. Elles sont prises dans un engrenage. » ( on n’est pas loin de la tradition du western non plus)
« Le genre de témoin qui refabrique la réalité à la vitesse de la lumière. »
« L’avantage pour moi, c’est que la présence d’une fille est toujours une aide très précieuse. Le meilleur des leviers. Vous lui cassez les deux mains, on vous offre les économies, vous lui crevez un oeil, vous avez celles de toute la famille, ça va crescendo. Une fille, c’est à peu près comme un donneur volontaire, chaque organe vaut son poids d’or pur. Bien sûr, rien ne vaut un môme. »
Un zeste d’humour aussi parfois:
« Une femme dans la cinquantaine, commerçante jusqu’aux ongles, courte et large, sûre de soi, une fortune en fond de teint, l’esthéticienne deux fois par semaine, et avec ça des bracelets, des colliers, des chaînes, des bagues, des broches, des boucles (on se demande vraiment pourquoi les braqueurs ne l’ont pas emportée avec le butin)… »
« Qu’est-ce que c’est beau chez les bourgeois. Ils seraient moins cons, ça donnerait presque envie d’en faire partie. » (là je pense un peu à Audiard)
« Louis est le seul flic de la Criminelle à porter sur lui le montant de son salaire annuel. »
« Qu’est-ce que tu veux, j’ai une taille de caniche mais des aspirations cosmiques. »
« Refaire sa vie, il n’y a jamais pensé, mais sa vie est en train de se refaire toute seule, presque malgré lui. »
A reblogué ceci sur sab's pleasureset a ajouté:
Je remets à l’honneur certains billets oubliés sur des lectures ou des films à découvrir absolument
J’aimeJ’aime