Le Portrait Chamarel de Shenaz Patel
Le Portrait Chamarel de Shenaz Patel, Editions Le Printemps 2001
Prix Radio-France du livre de l’Océan Indien 2002
Le Portrait Chamarel est le premier roman de Shenaz Patel.
Samia, une jeune orpheline mauricienne d’origine musulmane, a choisi de poursuivre sa vie au couvent qui l’a accueillie à la mort de sa mère. Mais voilà qu’en « ce mois mauve », son oncle Kursheed, mystérieux et peu loquace, vient la chercher pour lui présenter sa famille. Il en avait fait la promesse à Hussein, le patriarche, le grand-père de Samia, à l’instant de sa mort. La jeune femme découvre donc la demeure familiale et son ambiance austère, pesante, âcre, demeure dans laquelle les non-dits et les secrets de famille semblent accrochés à la moindre rugosité des murs.
« Dès l’entrée cependant, Samia fut saisie par l’âcreté qui sembla la happer sur le seuil même. Une odeur vermoulue, un souffle chargé, un passage d’air lourd mais cinglant qui parut vouloir la jeter au dehors. Elle eut l’impression que la vieille maison lui sautait à la gorge. »
Elle est alors confrontée à Mumtaz, sa tante, ainsi qu’à sa grand-mère, deux femmes ombrageuses qui la mettent plus que mal à l’aide. Samia se sent scrutée, épiée, tandis qu’elle se trouve, malgré elle, plongée dans une quête identitaire douloureuse.
Si elle parvient à apprivoiser Mumtaz, elle reste la cible des colères de « la vieille », Saur, qui, dans sa folie, ne s’exprime plus que par des cris, sa badine et des gestes frénétiques et violents parce qu’elle a décidé un jour « de retirer sa voix de monde et de l’enfouir quelque part, au profond de sa gorge. » « Mener son monde à la baguette était la seule chose qui l’intéressait ». Dans cet univers violent et lourd, seule la présence de Désiré, le fils de la domestique, « un enfant solaire », lui apporte une chaleur bénéfique.
De son grand-père, Samia ne connaît d’abord qu’un portrait énigmatique. Ses conversations avec Kursheed et Mumtaz lui permettent peu à peu de reconstituer le puzzle, de percer le secret de la folie de sa grand-mère. Sa vie à leur côté est aussi l’occasion d’en savoir plus sur sa propre mère et de découvrir les rites propres à cette communauté dont les circonstances de sa conception et de sa naissance l’ont coupée.
C’est dans une langue poétique où les mots cherchent à frapper juste que Shenaz Patel décline le motif de ces familles haies. J’aime particulièrement cet art de la suggestion qui colle si bien à cette atmosphère de non-dits.
Extraits préférés :
« Des années d’observation assidue l’avaient amenée à la curieuse réalisation que chaque individu avait deux yeux. Pas seulement deux pupilles, non, mais deux expressions. Un œil plus doux, sans doute pour les espoirs encore présents. Et un œil plus dur, peut-être pour toutes les désillusions passées et pressenties, qui disait les fêlures intimes de chaque âme et de chaque existence. Deux yeux, tentant de composer ensemble un seul regard. »
« Quelle famille ? Cette armée d’ombres dans cette maison mortuaire ? La vieille qui ne veut pas de moi ? Vous qui n’arrivez pas à déterminer si vous devez me tutoyer ou me vouvoyer ? Nadège qui me tient à distance et me parle créole en français ? Je n’ai pas de famille. Je ne veux pas de votre famille. Je n’ai que faire de vos racines. Elles m’entravent, elles m’étouffent. Je ne veux rien avoir à faire avec vos histoires d’amour bêtement contrariées, vos lâchetés, vos concessions, votre romantisme affecté. »
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