La grâce des brigands
Un gros coup de coeur: La grâce des brigands de Véronique Ovaldé
La grâce des brigands, de Véronique Ovaldé, Editions de l’Oliver, 2013
Je commencerai ce billet en remerciant vivement Shenaz Patel de m’avoir incité à découvrir l’univers sensible et quelque peu déjanté de Véronique Ovaldé dont je connaissais le nom et le succès sans l’avoir encore lue.
Pas facile de rendre compte d’un roman au titre aussi énigmatique que celui-ci… La narration s’ouvre sur le cadre assez idyllique de Santa Monica où vit Maria Christina Vaatonen (désolée mais le mac et les trémas, c’est juste délicat), originaire d’un grand Nord presque indéfinissable qu’elle a fui dès l’âge de 16 ans. Son village natal constitue en effet une sorte de non lieu et un pays de non droit. Tout oppose cette bourgade glaciale à Santa Monica, villégiature que la jeune femme a choisi parce qu’on peut y déguster des cocktails de crevettes et des glaces à la pastèque, qu’on peut y rouler dans une vieille décapotable verte et vivre à son aise, même si elle ne fait rien de tout cela. Elle a juste besoin de savoir qu’elle le peut. Cela la rassure !
Cette auteure trentenaire y mène une vie agitée où « L’écriture, la nuit et l’alcool sont indissociables », entourée de Joanne, sa meilleure amie qui travaille « dans un restaurant galerie d’art bistrot salle de spectacles », de Dolores Mendes sa femme de ménage, de Jean-Luc Godard, son chat, et de Rafael Claramunt, son mentor et ex-amant, écrivain à succès en pleine décadence.
« Claramunt est un homme dont l’orgueil est parfois un handicap. »
Mais voilà que cette vie américaine, qu’elle s’est construite pour oublier une enfance pénible et traumatisante, bascule le 17 janvier 1994 alors qu’elle reçoit un coup de fil de Marguerite Richaumont, sa mère dont elle n’a aucune nouvelle depuis 10 ans. Se rendra-t-elle à Lapérouse pour récupérer Peeleete, son jeune neveu au prénom si improbable ???
Contre toute attente, Maria Christina prépare ses bagages et part à la rencontre de ses souvenirs, de ses blessures. Son voyage est l’occasion d’une longue analepse palpitante. Tout ce qu’elle avait tenté d’enfouir la submerge : la maison rose, l’enfance des sœurs Rose-cul, cette famille étrange et désunie, sa mère « membre actif de l’Eglise de la Rédemption Lumineuse », « Sa religiosité (qui) était horrible, virulente, indignée. ». Elle songe à Liam, le père, qui les appelait, elle et sa sœur Meena, « mes brigands ». Elle revit le drame, l’accident de Meena, son basculement dans le rôle de « la vilaine sœur » à cause d’un serpent jarretière à flancs rouges…Son retour, même fugitif, lui rappelle son départ, sa rencontre déterminante avec Claramunt et sa détermination à se construire, à se faire un nom, à naître vraiment.
« Les virages cruciaux de nos vies tiennent à bien peu de choses. »
Le temps d’un trajet pénible, Maria Christina revoit le film de ses trente premières années, comme si elles devaient être les dernières, comme si sa vie était menacée…
Ce roman est un régal ! Les personnages, bien trempés, sont étrangement crédibles malgré leurs extravagances en tout genre. La narration ne lâche jamais le lecteur qui se trouve balloté entre les artifices californiens et les interdits lapérousiens, entre le rire et les larmes, les sarcasmes et les émotions. Récit et écriture sont au service d’un étonnement permanent et jubilatoire. Le lecteur, même rôdé, finit toujours par se laisser surprendre par le détour d’une phrase, une chute ironique ou comique, un trait de style. Tout comme Maria Christina se trouve parfois détournée de son chemin de vie, le lecteur est aux prises avec une écriture déroutante et enivrante.
Un aperçu :
« Les parents de Maria Christina Vaatonen se sont rencontrés, semble-t-il, en 1952. Ce qui est certain c’est que chacun venait d’un endroit éloigné de Lapérouse, où finalement leurs chemins se sont croisés cette année-là. C’est toujours surprenant la façon dont les gens paraissent accorder leurs agendas ou du moins – puisque je les vois mal, l’un comme l’autre, posséder un agenda ou quelque chose qui s’y apparenterait – la façon dont ils paraissent adapter la mesure de leurs pas afin d’arriver au même endroit au même moment. En ce qui concerne les parents de Maria Christina cela a à voir avec un train que l’un rata, et à une dispute que l’autre provoqua. »
« N’oublions pas que Maria Christina avait été une petite fille qui, pour trouver le sommeil, mettait en scène son propre enterrement et se délectait de la détresse et des remords de ceux qu’elle laisserait derrière elle. Ce genre de petite fille, quand elle devient grande, se transforme en une personne d’une intranquillité encombrante. De celles qui passent leur temps à anticiper, conjecturer et présumer à propos de ce qu’on pense d’elles quand elles sont absentes. Qui sont si sensibles à ce qui est dit dès qu’elles sont sorties de la pièce que l’expectative les rend marteaux. L’échec annoncé d’une telle tentative (vouloir ne jamais alimenter le moindre commérage), sa vanité même, en font une entreprise désespérée qui, d’une certaine façon, m’émeut. »
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