Littérature étrangère

« La carte au trésor » de Mo Yan


« La Carte au trésor » Mo Yan

Un petit bijou chinois!

moyan.jpgMo Yan est un écrivain contemporain chinois qui  a obtenu le prix Nobel de Littérature en 2012.

Ce court roman  de 118 pages est publié chez Picquier poche.

 

Ce roman fort original s’ouvre sur un incipit  aussi étonnant que la première de couverture: « Cette histoire, du début à la fin, ne contient qu’une seule vraie parole – cette histoire, du début à la fin, ne contient pas une seule part de vrai. »

Voilà qui promet et qui laisse songeur! Un vrai cas d’école pour le prof de français qui veut faire percevoir à ses élèves combien la place de l’adjectif peut influer sur ses significations!!! Voilà qui annonce surtout un apologue aux airs nouveaux.

Le cadre: Pékin, un dimanche, de nos jours

L’histoire: Un quadragénaire anonyme  déambule dans les rues de Pékin, véritable fourmillière qui tient du chaos. Ce promeneur hébété est subitement sorti de ses rêveries par « une bourrade sur l’épaule ». C’est Make, un ancien camarade de classe qui le reconnaît. Ils viennent tous deux de la commune paysanne de Xiang Yang où ils ont fréquenté le lycée agricole avant que le narrateur entreprenne des études d’histoire. S’ensuit une tirade époustouflante que Ionesco ne renierait pas! Notre narrrateur en reste muet, seules ses pensées nous sont livrées. Lui qui s’efforçait de rester anonyme au point de donner une fausse adresse à sa famille, s’inquiète aussitôt de savoir comment il va bien pouvoir se débarrasser de ce fâcheux. Make raconte alors les enjeux de sa visite à Pékin, sa promenade au zoo… Le lecteur en est alors convaincu: rien ne va plus dans ce monde-là. Les tigres ne sont plus des tigres, la preuve il faut leur passer des films porno pour stimuler leur libido. En revanche, les voisines sont tigresques! Ce Make, intarissable, n’est pas sans évoquer le Neveu d’un certain Rameau. Parasite pouilleux affamé et désargenté  il est en proie à une logorrhée effroyable parfois proche de l’absurde. Mais ne nous y fions pas: « n’est pas un imbécile qui veut » et « les apparences sont parfois trompeuses »

« Ne me demande pas je t’en prie pourquoi je suis monté à Pékin voir le tigre, pour l’instant ne me demande rien, quand bien même tu demanderais je ne te répondrais pas ».

Autre similitude avec le personnage de Diderot: cet ami n’a rien d’un flatteur. Jugez-en par vous même:

« Tu ne te serais pas retourné, je t’aurais tout de même remis. Ton cou, tes oreilles, tes joues, enfin cette voix enrouée, ce raclement d’expectorations en attente, tout était là pour témoigner que tu étais bien toi. A ces signes distinctifs ajoute ta démarche de canard et c’en était bien assez pour me déterminer à te prendre par surprise et à t’en coller une. »

C’est aussi un vrai comédien, qui passe de la conversation à bâtons rompus à la chansonnette. Nous ne sommes pas loin de certaines pantomimes célèbres! Sa voix forte évoque aussi la fameuse voix de stentor du Neveu.

Tout comme le Neveu, il alterne langage familier et sentences, souvent désopilantes. Sa parole au débit extrêmement rapide dégaine plus vite que l’éclair.

« quand le toit est trop bas il n’y a plus qu’à baisser la tête, en héros qui sait suivre la conjoncture. »

Soucieux de se débarrasser au plus vite de cet importun, le narrateur n’a pas le choix. Il doit se résoudre à son chantage et l’inviter au restaurant. Il opte pour un restaurant de raviolis tenu par un couple de centenaires, lieu qui tient du musée des Curiosités. La logorrhée de Make ne tarit pas pour autant, surtout que la bière ne manque pas. Il multiplie les histoires à dormir debout émaillées de propos philosophiques et de critiques sociopolitiques. Cette cascade de récits enchassés, complétée par les histoires de la vieille restauratrice, orchestre alors une polyphonie vertigineuse. Un vrai régal (plus que ces fichus raviolis de prime abord!). Tout s’accélère lorsque Make découvre dans son premier plat un poil insolite. S’agit-il d’un poil de porc ou d’une moustache de tigre? Cette moustache est « un trésor sans prix, qui vaut autant d’argent que la perle antique, nocturne et lumineuse du grand océan ». Selon la légende, que Make et la restauratrice posent comme certaine, cette moustache follette permet de découvrir la véritable extraction (animale) des gens. C’est cependant un autre trésor culinaire qui les attend…

La narration à la première personne mêle les registres avec brio. L’humour parfois lourd et gras de Make alterne avec des réflexions du plus grand sérieux. Les références, notamment littéraires, sont nombreuses, ce qui ne facilite pas toujours la lecture lorsque l’on ne connaît pas plus que cela la culture chinoise. Toutefois les notes, complètes et précises, sont un précieux secours.

Quelques passages :

– humour bien lourd de Make

« écoute mon vieux, tu sais ce qu’on dit, « midi manger raviolis, minuit coucher ravi au lit ».

– syllogisme prêté au président Nixon et rapporté par Make

« Ne pas être allé à Pékin c’est n’être jamais allé en Chine, n’avoir pas mangé de canard laqué c’est n’être jamais allé à Pékin, ainsi n’avoir pas mangé de canard laqué, c’est comme de n’avoir jamais mis les pieds en Chine. »

– la critique sociale

A propos des petits fonctionnaires

« Regarde-toi par exemple, tu te la fais péter dans ton vieux complet fripé,la cravate rouge qui pend en langue de chien, le crâne pelé comme un prépuce décalotté, dodelinant de la tête avec satisfaction au milieu du boulevard et jouant les vieux cadres, mais à moi tu ne la fais pas. »

 

Divers:

« C’est la tombe de la famille du Seigneur bachelier, un fengshui de première, en chiant ici tu as gravement souillé le fenghsui, sais-tu seulement ce que ça encourt un crime pareil? »

Un bijou à découvrir!!!!!

 

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